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75 ans : les textes des discours

Trois orateurs se sont succédé et vous proposent ci-dessous le texte complet de leur intervention du 22 février 2014.

Retrouvez également le discours prononcé par la Direction à l’occasion de ces 75 ans.

Des textes à savourer dans leurs détails...

_  Claudine Martin

Chers amis,

Permettez que je m’adresse un instant aux anciennes anciennes. Je dis anciennes car à l’époque, il n’y avait pas de garçons sinon jusqu’à sept ans. Hélas, pensions-nous ...
Voici quelques éléments et personnes qui ont jalonné notre histoire :

Souvenez-vous que nous passions par la porte du « petit pont » pour nous ébattre dans la cour. La cage à poules (ex prairie sur l’emplacement du bâtiment du secondaire) était réservée aux petits. Le jardin des mères, si merveilleux parce qu’interdit contenait diverses essences d’arbres (actuel terrain de foot) et restait un lieu de mystère rarement révélé. Les « mères » se promenaient dans la cour en deux rangées, les unes marchant à l’endroit, les autres en arrière. Cela devisait et riait, c’était leur récré. Notez que la prieure avançait toujours dans le sens de la marche... La glycine courait le long des murs.

Nous avons goûté au vent de la liberté. Nous avons connu sœur Noël-Dominique, dite Nono, sœur Jean-Dominique, la bonté même, le rire de sœur Thérèse dégringolant la cage d’escalier et tant d’autres. Nous portions l’uniforme, le béret ou la mantille pour les plus âgées et nous nous rendions à la chapelle (actuellement Jacques Prévert), tout en marbre. Les mères arrivaient en deux rangs dans le corridor, chantant des psaumes fort joliment, l’harmonium scandait leur chant.

Nous n’étions pas toujours sages et les chahuts organisés pimentaient la vie. Non des bruitages inutiles, mais des gags organisés qui faisaient parfois rire les professeurs. Pour exemple l’histoire du cheval de Troie : trois élèves se cachaient dans le plinthe et, en plein cours, l’engin avançait, royal ! Fous rires !

Il y avait Grany qui encourageait les pensionnaires, laissant un baiser parfumé sur la joue des plus petites dans la chambre des oursons (actuelle troisième). La Grany de tous, aimée des professeurs, des mères, des élèves. L’âme de l’institut. Tant d’autres figures prépondérantes au fil des décennies. Chacune d’entre vous pourra mettre des visages sur cette évocation.

La joie, malgré quelques avatars, dominait. Les Fancy Fair, toutes sections confondues, les fêtes des profs, les enterrements des rhétos et j’en passe, émaillaient l’année. La « petite chorale sans nom » s’éclatait sous la direction de Mme germain. Mme Warland proposait des démonstrations de gymnastique époustouflantes.

Côté fondamentale, Mère Albert donnait à la section Astrid, non payante, un ton d’école nouvelle. Elle dépoussiérait l’enseignement. Je me souviens de tourterelles en maternelle. La peinture avait une large place... Les deux sections, payante et non payante se rejoignent en 58. Mère Albert ouvre en 75 le cinq-huit, le reste suivra. Autonomie, différenciation, constructivisme et autres secouent les professeurs. Des cloisons sont abattues, obligeant les enseignants à travailler à trois.

Nous avons eu cette chance de vivre ces événements et ces gens. Il n’y a pas de merci assez intense pour ce que nous avons reçu : l’esprit d’analyse, la liberté responsable, l’aventure ouverte sur la vie... L’esprit de Saint-Dominique nous a nourries et nous le portons en nous dans nos rencontres et notre quotidien. Merci aux mères, merci aux professeurs, merci à la vie !

Claudine Martin

_  Monsieur Brunydonckx

Chères Amies, chers Amis de l’Institut Saint-Dominique,

Après avoir été directeur de la section secondaire pendant 19 ans et en y ajoutant quelques années de recul, je pourrais définir l’Institut Saint-Dominique comme l’école de tous les possibles .
Et il y aurait matière à évoquer tous ces possibles, mais je me contenterai de l’illustrer par quelques exemples.

La toute première année, en septembre 87, un professeur vient me trouver. Il a un projet auquel il tient beaucoup : relancer les Midis des dominicaines.
Au programme : Lise Thiry (virologue, spécialiste dans la lutte contre le sida), Claude Chevalier (directeur du magazine de mode Marie-Claire), Antoinette Spaak (présidente du FDF), Georges Moucheron (journaliste, présentateur du JT) et le docteur Otte (spécialiste de greffes de foie sur les petits enfants). Magnifique programme qui rencontre un vif succès. Merci à Georges Varela et à ses élèves.
Le plus surprenant pour moi fut d’assister, à la fin du deuxième débat, celui consacré à la presse féminine, à un vrai défilé de mode. Les élèves s’étaient fourni dans quelques belles boutiques et défilaient en vraies mannequins. Je n’en croyais pas mes yeux (il faut dire que je venais d’une école à la population majoritairement masculine et assez classique).

La possibilité de réunir des élèves et des professeurs autour de projets divers et nombreux.

Ou comment aller dénicher sur un chantier, une roulotte désaffectée pour l’amener dans la cour de récréation et en faire l’emblème du Jeune magasin du Monde Oxfam.

Ou comment, annuellement, illuminer une façade d’école avec des bougies Amnesty.

Ou comment réunir en une soirée consacrée à la littérature belge une brochette d’écrivains, à faire pâlir les organisateurs de la Foire du livre.

Ou comment inviter à l’école dans le cadre de l’animation chrétienne des conférenciers/conférencières témoins de notre temps (Sœur Emmanuelle, Colette Nys-Mazure, Gabriel Ringlet, Noël Coppin, Sylvie Germain, Bernard Feillet, Pierre de Locht, Ricardo Petrella Jean-Claude Guillebaud, etc.).

Ou comment réunir professeurs et élèves pour organiser les fêtes. L’école doit beaucoup à Cofesti et ses initiatives joyeuses.

Ou comment mettre sur pied un projet de solidarité avec la Roumanie, au lendemain de décembre 89 et la chute du mur de Berlin. Dix années de collectes de vêtements, de livres et de matériel scolaire, de collectes de fonds via des fêtes, d’échanges épistolaires, de rencontres sur place et d’accueil ici à St. Dominique.

Ou comment dans la tourmente des grèves, pousser à fond la réflexion sur l’enseignement, dynamiser les collègues en interne et en externe, sensibiliser les parents et les élèves, participer aux manifestations et continuer à croire en son métier lorsqu’il fallut bien constater que le politique ne suivait pas…

Ou comment, dans la foulée de grèves continuer à croire en la démocratie en créant, professeurs et élèves, le groupe Vigilance démocratique. Combien de politiciens n’ont pas été mis sur le gril par les questions des jeunes et moins jeunes. Mais aussi, combien de vocations politiques nées parmi les élèves.

Ou comment un cours d’art dramatique 2H (une activité complémentaire) pouvait bousculer toute l’école dans son organisation, créer des spectacles inoubliables et susciter plus d’une vocation théâtrale.

Ou comment tisser des liens que d’aucuns croyaient utopiques : entre élèves aînés et plus jeunes, entre les membres du personnel employé et ouvrier et les autres membres de la communauté, entre les professeurs des sections fondamentale et secondaire (en créant des journées pédagogiques communes, en partageant une même grande salle des professeurs, en partageant les équipements et les soucis et moyens financiers).

Ou comment continuer à faire vivre un restaurant scolaire malgré la tentation de recourir à la facilité d’une restauration fournie par l’extérieur.

Et il faudrait citer les initiatives pédagogiques (je pense e.a. aux projets Interdisciplinaires pour les aînés et les classes ouvertes pour les plus jeunes), les voyages à l’étranger, le travail de l’Association des parents, de l’équipe des éducateurs etc. etc.

Cette école est l’école de tous les possibles. Pour moi ce fut un véritable cadeau que de pouvoir encourager et participer à toutes ces initiatives.

L’Utopie est inscrite dans notre projet éducatif non comme un rêve, mais comme un moteur. Qu’elle continue donc à mobiliser tous les acteurs de l’Institut Saint-Dominique au bénéfice des jeunes et de la société.

Jean-Marie BRUYNDONCKX

_  Madame Van Sull

« Il vaut mieux allumer une bougie que maudire les ténèbres » – citation de Lao Tseu rappelée vendredi dernier sur les ondes de la RTBF par Diane Hennebert, ancienne élève et directrice de la Fondation Boghossian, centre de dialogue entre les cultures d’Orient et d’Occident.

Une école c’est, ce sont tant de bougies allumées chaque jour, inlassablement, pour faire reculer les ténèbres.

Bougies allumées par

_ Les élèves – plus de 1300 en 2014 – et aussi anciens élèves (beaucoup depuis 75 ans !) : merci d’être présents aujourd’hui

_ Les professeurs, éducateurs et surveillants, les anciens professeurs, éducateurs et surveillants : merci d’être ou d’avoir été présents au jour le jour pour être des passeurs de sens

_ Les membres du staff technique : personnel administratif ou ouvrier, cette fameuse intendance sans laquelle rien n’est possible

_ Les volontaires aussi appelés bénévoles : présents à la bibliothèque, lors des fêtes, dans les associations de parents, administrateurs des « Amis de l’institut » qui ont si souvent permis de renflouer les caisses, administrateurs de l’association propriétaire de l’école et ceux de l’asbl Institut Saint-Dominique, responsable de l’école

_ Les amis, les voisins, la paroisse, les mécènes sans qui rien n’eut été possible : aujourd’hui que nous nous heurtons à la difficulté de créer de nouvelles écoles à Bruxelles, nous mesurons la générosité de notamment la famille Mommaerts de la rue des mimosas qui a offert les terrains sur lesquels l’école est construite… (avis aux mécènes de 2014…)

_ les directeurs qui sont les véritables capitaines à bord. Aujourd’hui ils sont 4 dans l’équipe : en Fondamental et primaire Jean-françois Moosen et Ilir Strazimiri ont pris le relais de notamment Mère Albert et Claudine Martin, au secondaire Rossano Rosi et Valériane Wiot tandem succédant à d’autres tandems célèbres tels que sœur Béatrice-Marie et sœur Thérèse-Marie – BM et TT – Jean-Marie Bruyndonckx et Anny Priest. On ne dit pas assez que ces directeurs d’école portent à bout de bras les projets, sont ces capitaines d’entreprise de haut vol méconnus assumant les responsabilités pédagogiques, de ressources humaines, techniques, financières malgré des méandres administratifs et statutaires épuisants ; ce sont eux aussi qui avec Claudine Martin et Monique Rigaux ont organisé cette journée, et plus particulièrement Jean-François et Valériane que je vous demande d’applaudir

_ Pour une école dominicaine il nous a aussi fallu des Dominicaines, ces femmes d’action, brillantes, intelligentes, chaleureuses, parfois les 3, qui pionnières se sont lancées dans une aventure au long cours : en pleine tourmente d’avant-guerre il leur fallait une foi chevillée au corps, de l’enthousiasme et du pragmatisme. Et parmi nous 2-3 de ces sœurs qui connurent l’école : sœur Edith Demain, ancienne élève comme professeur, Sœur Marie-Nathalie Lessage que les petits de 1962 reconnaîtront peut-être, et sœur Marie-Hyacinthe comme professeur de sciences mais surtout comme Prieure, venue de France en 1968 mettre de l’ordre dans des troupes belges dissipées, arrivée pour un mandat de 3 ans et qui resta à la tête de l’école pendant plus de 35 ans. Pari osé, pari gagné pouvons-nous dire aujourd’hui que l’implantation de l’école dans un quartier en plein essor, école ouverte sur le monde, accueillant au sein de son conseil d’administration force laïcs là où les fondateurs d’autres institutions catholiques veillaient à bien garder seuls les rênes de leur institution.
Le projet éducatif n’était pas, n’est pas réservé aux élèves mais est à vivre au quotidien entre adultes également.
Si aujourd’hui apporte son lot de difficultés propres, le projet de l’école implique d’être fenêtres et portes largement ouvertes sur le monde comme le rappelait sœur Marie-Hyacinthe en 2007 lors de l’inauguration du dernier nouveau bâtiment. Ce monde qui vit des tentations nationalistes et de repli sur soi a besoin d’adultes tolérants et entreprenants : faire confiance aux jeunes, refaire encore et encore confiance, les respecter, et s’en faire respecter, c’est jeter les bases de ce lien social qui est ciment de notre société.

Tant que nos élèves et ceux qui les entourent vivront le refus de l’indifférence, la joie des projets qui font bouger le monde, tant que nous penserons qu’il vaut mieux allumer une bougie que maudire les ténèbres, le pari restera gagné.

22.02.2014
Suzanne Van Sull
Présidente du Pouvoir organisateur de l’école

_  Monsieur Rosi

Il était une fois un navire

Il était une fois un navire voguant depuis septante-cinq ans avec des dizaines de milliers de passagers à son bord… Une école, un navire : il y aurait bien des points communs à trouver, à commencer par les bouées de sauvetage. Car ici, les esprits chagrins pourraient bien être tentés par une cruelle métaphore et se dire qu’une école, à l’image de l’enseignement, ressemble un peu au Titanic.

C’est gros, c’est lourd, ça a la mission un peu prétentieuse de vouloir transporter la société tout entière, de la première à la troisième classe. Ça s’aventure sur des mers dangereuses, ça finit toujours par heurter un malencontreux iceberg sous forme de décret ou de trou budgétaire. Mais non, en fait. Ces apparences ne justifient pas cette malheureuse comparaison : une école, même si elle ressemble parfois à une espèce de paquebot, n’est pas le Titanic.

Et pourtant, si navire il doit y avoir, c’est à un autre genre de navire qu’il s’agit de penser.

Il était donc une fois un navire — ou plutôt : un vaisseau (le terme est plus joli) dont la légende raconte qu’il a été maintes et maintes fois rafistolé. Ce vaisseau est resté célèbre dans toute l’Antiquité, et il l’est encore aujourd’hui, quoique un peu moins que la nef Argo ou que, précisément, le Titanic : c’est le vaisseau de Thésée, celui que le futur roi d’Athènes utilisa pour partir combattre le Minotaure et pour, après avoir abandonné Ariane sur une île déserte, en revenir victorieux. Le mythe raconte d’ailleurs que Thésée oublia de changer les voiles du vaisseau. Ce grand distrait aurait dû mettre des voiles blanches pour signifier à son père, le vieil Égée, que son entreprise périlleuse avait réussi. Hélas, Thésée laissa les voiles noires et son père se suicida en se précipitant dans la mer qui porte encore aujourd’hui son nom. Tout ça n’a rien à voir avec l’Institut Saint-Dominique, convenons-en. On a beau avoir quinze lustres ou trois quarts de siècle, notre équipage ne remonte pas quand même à l’époque de Thésée et nous n’avons jamais oublié d’en changer les voiles lorsqu’il le fallait. Si l’Institut Saint-Dominique peut nous faire penser aujourd’hui au célèbre vaisseau de Thésée, c’est à cause de la légende que Plutarque, un auteur grec de l’époque de l’Empire romain, raconte à son sujet. Plutarque nous rapporte que les Athéniens étaient si fiers des exploits de leur roi qu’ils avaient conservé son vaisseau en veillant à l’entretenir scrupuleusement. Ainsi, ils en changeaient régulièrement telle ou telle planche de bois, tel ou tel morceau de voile, si bien qu’après un certain temps il n’est plus rien resté du vaisseau d’origine… Cependant, tous s’accordaient pour dire qu’il s’agissait quand même du vaisseau de Thésée. Il a beau avoir été complètement remplacé dans les différentes pièces qui le composent, ce vaisseau est toujours resté pour les Athéniens le vaisseau de Thésée. Or Plutarque, qui est aussi un peu philosophe sur les bords, se demande si les Athéniens ont tort ou raison. Ont-ils raison de considérer que ce vaisseau mille et une fois rafistolé était bien resté celui de Thésée ou s’il n’était pas devenu un tout autre vaisseau.

Vous me voyez venir : en supposant que l’Institut Saint-Dominique est le vaisseau de Thésée, on peut se demander si, au fur et à mesure des changements successifs qui ont fait que les élèves et les membres d’équipage de notre navire ne sont plus les exactement les mêmes d’année en année et sont même aujourd’hui complètement différents de ce qu’ils furent un jour, on peut donc se demander si l’Institut Saint-Dominique est bien resté l’Institut Saint-Dominique.

Les personnes changent, les fonctions se transmettent, les générations se succèdent ; mais la tradition de notre identité reste-t-elle ? Peut-on considérer que nous sommes toujours le vaisseau de Thésée ? Sommes-nous en droit de considérer que nous sommes toujours cet Institut qui a été fondé il y a septante-cinq ans désormais par une poignée de courageuses Dominicaines (et du courage, il en faut sacrément pour fonder une école : on en sait quelque chose par les temps qui courent), par une poignée de courageuses Dominicaines, disais-je, dont nous n’entrevoyons plus même l’ombre de la coiffe aujourd’hui ? Si nous devions être, par un coup de baguette magique, transportés en ce temps désormais lointain, nul doute que nous serions troublés par certaines différences qui nous sauteraient aux yeux.

Mais nul doute aussi, et c’est le point que je voudrais souligner, que nous retrouverions une atmosphère familière : cette atmosphère si particulière qui fonde la pédagogie de notre école et qui a contribué à faire de nous d’indécrottables Dominicains.

La Direction — discours prononcé à l’occasion des 75 ans

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