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Notre projet dominicain

Un article de Monsieur Rosi présentant notre projet d’école à l’occasion d’une publication dans la revue Amitiés Dominicaines

L’Institut Saint-Dominique a été fondé il y aura bientôt quatre-vingt-un ans : c’était en 1938. Les personnes qui furent à la manœuvre de cette fondation sont des sœurs dominicaines. L’école fut à ses débuts un internat de jeunes filles. L’internat disparut au début des années 70, l’école grandit, devint mixte — au plan du genre — vers le début des années 80 avant de le devenir au plan socio-culturel vers la fin des années 90. La section secondaire de notre école regroupe aujourd’hui quelque sept cents élèves, issus de près d’une bonne vingtaine — sinon davantage — d’origines culturelles différentes.

Les religieuses se retirèrent du Pouvoir organisateur, dont le conseil d’administration a cependant conservé un lien affectif avec la sphère dominicaine. Notre projet pédagogique, malgré la laïcisation complète du personnel enseignant et la diversification culturelle de nos élèves ou de nos professeurs, reste de cette façon de nette inspiration dominicaine.

Nos élèves présentent des origines extrêmement variées. La relative homogénéité des premières heures de l’Institut Saint-Dominique n’a très vite été qu’un vieux souvenir. La réalité imposée par le décret inscriptions, qu’on le veuille ou non, a contribué à mélanger encore davantage les origines socio-économiques et culturelles de nos élèves. Cela à l’image du quartier où s’insère notre école, en fait : les visages de nos élèves sont les visages des jeunes que l’on croise dans les rues avoisinantes — dont notre Institut est une sorte de miroir.

Or, en dépit de ces mutations, dont l’amplitude rendrait perplexe quelqu’un qui venu des années 60 se retrouverait aujourd’hui au milieu de notre cour de récréation, le projet pédagogique de l’école n’a quasi pas changé. Il est resté tout aussi séduisant. Car ce projet continue à susciter le désir dans le chef des nombreuses familles qui souhaitent nous confier leurs enfants. Ce qui nous conforte dans l’idée que le fond de nos valeurs, toutes dominicaines qu’elles sont, ou peut-être parce qu’elles sont dominicaines, a un indéniable caractère universel. Si tant de familles différentes se retrouvent dans les valeurs que nous proposons et qui sont, de fait, vécues, à de rares exceptions près, dans une vraie adhésion, c’est peut-être parce nous voulons, avec fermeté, insuffler une dimension de telle nature. L’ouverture universelle de ces valeurs a fait en sorte que les familles de nos jeunes ont toujours considéré que le cadre que nous leur proposions rencontrait leurs préoccupations en termes d’éducation.

Nous sommes en fait sur un terrain d’entente où les valeurs communes créent un espace d’éducation et d’échanges humains qui permette à quiconque de s’épanouir, sans oublier au passage le développement de son esprit critique. Car, bien entendu, il convient de préciser que l’adhésion que j’évoque n’est pas une adhésion aveugle ou muette ! Il s’agit d’une adhésion qui véhicule une dose d’esprit critique : nos élèves sont aussi de fameux empêcheurs de penser en rond !

L’inspiration dominicaine se trouve à l’origine de plusieurs de ces traits saillants de l’éducation que nous organisons entre nos murs.
Il y a ainsi cette importance accordée à la valeur intellectuelle. Cela se traduit par un souci constant de notre école de veiller au développement de l’éducation plutôt qu’à celui du matériel. Certes, le matériel a ses exigences ; et nous veillons à ce que nos élèves ne manquent de rien. Mais l’important demeure à nos yeux le cœur même de l’enseignement, à savoir la valeur de l’esprit et ses corrélats concrets sans lesquels elle ne pourrait se déployer : livres, projets, outils, etc. Par certains aspects, en comparaison de collèges plus feutrés, notre école peut paraître un peu, sinon austère, du moins « fonctionnelle » : à l’apparat et aux dépenses somptuaires, nous préférons la stimulation des intelligences.

La valeur intellectuelle ou spirituelle explique aussi le souci que nous avons d’offrir un éventail diversifié d’options à nos élèves afin d’éviter d’avoir à faire à des individus tous formés dans le même moule. Certes, l’histoire de l’Institut a fait en sorte que notre école est une école d’enseignement général ; mais dans ce cadre assez étroit de l’enseignement général, nous essayons d’avoir une proposition de formations la plus large possible. Des sciences aux arts, en passant par l’économie, les langues modernes, les sciences sociales ou les langues anciennes, sans exclure le théâtre, nos élèves sont confrontés à des choix que leur variété même peut rendre parfois difficiles. Choisir est en fait une fameuse aventure ! D’aucuns voudraient tout garder ! ne rien exclure ! Mais la vie est faite d’abandons et d’options… Il s’agit d’un apprentissage qui va dans le sens de cet épanouissement que nous souhaitons pour tous.

Le choix est un signe de maturité, en somme, d’autant plus qu’à partir du 2e degré, nous demandons à nos élèves — s’agissant des options choisies — de l’assumer pendant deux ans. Cette fidélité à ses engagements est une exigence corollaire de la valeur accordée à l’esprit : que serait-il sans un peu d’opiniâtreté ? que serait l’enseignement s’il n’était fait que de caprices effectués au gré du vent ? Tenir le cap est une exigence que nous avons et que nous voulons comme un respect dû à l’intelligence de nos jeunes. Plus facile à dire qu’à réaliser… D’autant plus qu’il arrive très souvent que les parents eux-mêmes ne se rendent pas compte de ces enjeux et confortent, parfois, leur enfant dans une attitude mettant plutôt à l’honneur l’impulsivité, le changement soudain — cela, sous prétexte de liberté.

C’est d’ailleurs une belle leçon d’éducation que d’apprendre que la liberté a aussi besoin de contrainte et que les règles sont d’abord là non pour cadrer, enserrer dans des mailles stériles, mais bien pour susciter l’autonomie et le désir de concorde que tout être humain possède en lui. Il est si facile d’imaginer qu’il suffit d’une bonne carotte et d’un bon bâton pour discipliner ses ouailles ou avancer dans la vie… Vision de la chose scolaire qui est en fait très répandue non seulement chez les « professionnels de la profession », mais aussi chez les élèves eux-mêmes : le désir de contrôle est étroitement lié à celui de sécurité — ce besoin que nous ressentons tous et dont nous croyons trop souvent avoir la bonne recette, justement sous la forme d’une carotte et d’un bâton. On ne dira jamais combien il est difficile de se défaire d’une telle représentation ; combien il est précieux d’apprendre la liberté à nos jeunes, de leur faire comprendre que cette liberté inclut aussi une part maîtrisée de désobéissance, d’incertitude, voire de peur ; combien il est précieux aussi que chaque adulte le comprenne… Cet apprentissage difficile de la liberté est également un legs de l’esprit dominicain, pour lequel le chemin de l’homme nécessite un réel effort.

Cet apprentissage cependant doit se faire dans l’optimisme. La confiance dans les capacités spirituelles — raison et sentiments — des êtres humains doit être une constante. Il ne s’agit pas de sombrer dans une forme de béatitude naïve ; il s’agit de vouloir cet optimisme avec force, avec foi, avec une volonté heureuse — et par « heureuse », j’entends aussi qu’elle soit gaie et alerte : il faut avant tout trouver du plaisir à vivre cette confiance optimiste…

Cet optimisme est lui aussi une gageure. Il n’est pas simple de l’être, optimiste, dans un monde qui peut paraître à maints égards cruel ou injuste. Les raisons de déprimer, de développer une allergie à l’homme, de haïr sa liberté de faire le mal sont plutôt nombreuses ; on n’a pas toujours l’impression que l’optimisme, dans la balance, pèse aussi lourd… Et pourtant, il y va de l’amour de la vie ! Sans cet optimisme, nous serions tous des « à-quoi-bonistes » avançant dans nos études ou notre métier comme des mannequins sans vie sur un tapis roulant…
C’est avec cet optimisme d’ailleurs que nous savons que nous devons tenter de faire en sorte qu’il n’y ait pas de laissés-pour-compte : aider, soutenir, dans la mesure de moyens parfois maigres, est un devoir de vie qui contribue pour une part importante à l’édification de cette vision optimiste de l’existence.

Je ne pourrais clore ce texte sans revenir sur la dimension universelle de l’inspiration dominicaine. À un monde clos, refermé sur ses certitudes ou ses fois, qu’elles soient religieuses, politiques ou tout simplement réactionnaires (la carotte et le bâton !), nous préférons un monde ouvert où nous avons la liberté d’aller vers l’autre sans rien perdre de notre identité, mais oublier que celle-ci est une réalité en perpétuelle construction — et cela en interaction avec les autres, fussent-ils très différents. Rien de plus affligeant qu’une école où tous se ressemblent : une école de clones tristes, pétris de ces auto-certitudes qu’une société souvent cynique aime monter en épingle. Ce n’est pas là l’école que nous voulons ; mais celle que nous voulons nécessite un énorme engagement.

Rossano Rosi